Une TZR, une professeure d’allemand, comme les autres?

Elle est professeure d’allemand depuis 13 ans. Actuellement, elle est en arrêt maladie, et elle s’est entretenue avec le Café pédagogique sur sa situation. Une enquête sur le bien-être professionnel des personnels réalisée par le ministère au printemps 2022 (via la DEPP, la Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance) pointait une fatigue, un sur deux déclarait «un sentiment d’épuisement professionnel élevé», la satisfaction professionnelle en baisse (évalué à 6/10) et inférieur à la moyenne des Français en emploi (7,2 sur 10). La question qui a récolté la plus faible note par le personnel éducatif est celle liée au sentiment d’exercer un métier valorisé avec la note de 2,5 sur ce sujet…

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Être TZR

C’était sa 13è rentrée, professeure d’allemand titulaire sur zone de remplacement depuis 3 ans après avoir été contractuelle 9 années. Elle est affectée sur 2 ou 3 établissements et décrit des conditions de travail éprouvantes. Elle brigue un poste fixe, mais les heures s’amenuisant dans les disciplines «en tension», les postes sont de plus en plus des bouts de postes. Travailler sur 3 établissements est courant dans son académie, c’est «infaisable, impossible de bien travailler sur autant d’établissements et tous les niveaux». C’est un statut «épouvantable», de «bouche-trou» qui fatigue et empêche de trouver du sens, sens lié à la construction avec les élèves et les collègues, donc à la pérennité et stabilité, conditions préalables, un poste. «Je suis bouche-trou, pas de projet, pas de voyage. J’envie les collègues qui ont la possibilité de faire des choses qui ont du sens pour les élèves et donc pour eux. Je me sens un peu seule.» A la question de l’enquête « Diriez-vous que vos conditions de travail sont satisfaisantes ? », la note est de 3,7 pour les enseignants remplaçants.

Le burn out

Depuis 3 semaines, elle ne peut plus parler de «fatigue», c’est le mot «burn out» qui est assumé. Elle décrit des symptômes de sa maladie, se sent «en boucle», incapable de réfléchir. Depuis 3 semaines, elle est en arrêt maladie et sous anxiolytique pour dormir. Elle décrit comment elle a perdu ses repères et témoigne car «on est tellement nombreux à être maltraités». Elle évoque cette «chape de plomb qui [l’] empêche de travailler» depuis le «craquage» qu’elle n’a pas senti venir: elle savait que «ce serait difficile». Elle dit avoir eu envie de témoigner du quotidien d’une professeure car «les gens ne se rendent pas compte de ce qu’on fait».

« Wesh t’es prof d’allemand, t’as raté ta vie.»

Un de ses postes est en éducation prioritaire, elle décrit une journée comme une autre, le réveil sonne, tôt, et très vite, sur le trajet, dans la voiture vers un des établissements, les premières pensées sur les élèves et les cours à venir: penser au PAP de l’un, de la difficulté de l’autre, ne pas oublier les photocopies, puis enchaîner, les trajets longs, sans avoir vraiment le temps de parler aux collègues, de s’arrêter. Un professeur affecté sur plusieurs niveaux, plusieurs établissements – éloignés-, court forcément toujours un peu.

Elle entend une remarque d’élève au détour d’un couloir : «wesh t’es prof d’allemand, t’as raté ta vie», qui la blesse et trotte dans sa tête. Cette petite phrase sera la goutte d’eau qui la fera éclater en sanglot le lendemain, au moment de signer son état de service et la conduit chez son médecin. Peu après, elle partage son expérience à ses collègues, met des mots sur ses maux. Elle a conscience qu’ils créent des remous s dans ses établissements auprès de collègues, qui parfois ne sont pas loin de son état, ces collègues au bord du précipice, ou en refus à qui elle dit qu’ils ne sont pas obligés de la lire: elle sait que l’identification à son récit peut être douloureuse et un choc.

La souffrance au travail

Elle n’accuse personne, elle a été plutôt bien entourée, «un médecin super», des collègues présents, «chacun fait ce qu’il peut». Mais si elle décrit la précarité du statut de contractuelle, elle a également découvert les difficultés du statut de titulaire, «pieds et poings liés». Défendre l’Ecole pour tous, c’est un grand OUI, mais pas dans ces conditions: «on est professeurs, pas thérapeutes». Enseignante en REP, «Pour beaucoup de ces élèves, nous, leurs profs et personnels de l’école, sommes les seuls adultes  solides et équilibrés de leurs vies.» Métier de sens mais métier difficile et dévalorisé socialement, le choix d’enseigner dans des conditions difficiles provoque de la souffrance dans un environnement dénué de médecine du travail.

La maladie qui se répand chez les professeurs sous forme de démissions ou de maladie ne doit-il pas interroger en profondeur notre système éducatif, malade, à bout de souffle et générateur de souffrances à tous les étages? Comment réinventer le système dans lequel l’Ecole ne devrait être ni «gérée» comme une entreprise ni céder à un système à l’américaine avec un service public en miette?

Djéhanne Gani

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