Entretien avec le député Rodrigo Arenas : « Le changement civilisationnel qui s’opère nécessite d’aller plus longtemps à l’école»

La sortie du livre « Passeur de mondes ; Député citoyen » est l’occasion d’un échange avec l’ancien coprésident de la FCPE devenu député, Rodrigo Arenas. Dans cet entretien, il évoque sa vision de la jeunesse, de la société, de la politique, autant de questions essentielles pour penser l’école. Pour le député, si l’école n’est pas hors du monde, si elle ne doit pas être partisane, elle ne peut se dédouaner des questionnements de son époque.

L’école a été au cœur de l’actualité ces dernières semaines. Quel regard portez-vous sur l’école sous la présidence de Macron?

Il y a deux problématiques : la crise Amélie Oudéa-Castera et la vision de l’école d’Emmanuel Macron. Les deux s’imbriquent : la ministre Oudéa-Castera n’est que l’incarnation de ceux pour qui Emmanuel Macron travaille. Pour le parent de Seine-Saint-Denis, la question des absences non remplacées relève du quotidien, avec des enfants qui n’ont pas cours pendant plusieurs semaines. AOC incarne le fait que certains concitoyens, parce qu’ils ont de l’argent, contournent le fondement de l’École, une école basée sur un principe de méritocratie : par son travail, l’élève peut s’affranchir de ses conditions de naissance et des conditions sociales qui s’y rattachent. L’égalité de traitement, qui est une des conditions du fonctionnement de l’école publique, n’est pas une réalité dans les territoires les plus précarisés de notre pays.

Macron, c’est le système des Etats-Unis, où les gens riches peuvent se créer des îlots de savoir, de sécurité… La mission de ces établissements scolaires privés est avant tout de mettre en réseau les gens bien nés. C’est le projet de Friedrich Hayek dans « Les routes de la servitude », avec une organisation pyramidale de la société. Macron a fait croire que si on traversait la rue, on trouvait du travail. Toute cette logique repose sur l’inversion de la faute : tu mérites ta condition. Il manipule l’opinion pour protéger le pré carré des nantis. Ils ont asservi les outils régaliens, comme on peut s’en apercevoir avec la concentration des médias et l’endoctrinement médiatique. Il y a aujourd’hui une confluence entre un projet politique et civilisationnel et un projet médiatique qui s’incarne dans le groupe Bolloré, pour influencer culturellement une société.

Tout cela s’invite à l’école sous la forme de la guerre scolaire. Le pouvoir en place a lancé la guerre scolaire avec le SNU, le réarmement civique et moral. Cela n’est pas anodin, derrière, c’est aussi une vision de l’enfant, de la place de la jeunesse qui doit être « sois sage et tais-toi ».

Il s’adosse au bon sens populaire pour un projet liberticide pour les jeunes. Aucun adulte n’accepterait par exemple de faire des pompes avec les mains dans le gravier. C’est une vison de l’enfant qui doit encaisser, pour devenir un «homme». Macron met en place un monde qui n’existe plus. On est dans une guerre culturelle. Il ne met pas simplement en œuvre les idées du RN, il est profondément pétri de la vision des « notables » de province. Il croit au SNU, à une formation paramilitaire pour les jeunes. Il faut des enfants pour faire des soldats.

Vous évoquez à ce propos dans votre dernier livre « Passeur de mondes ; Député citoyen », comme dans le précédent, la question des droits de l’enfant. Selon vous, au prisme de cette question notamment, quel rôle doit jouer l’école ?

La gauche ne comprend pas qu’on a changé de civilisation, et ne sort pas de la matrice du XXe siècle. Le sujet, c’est pourquoi tu vas à l’école, pour y apprendre quoi. C’est difficile de penser une école différente, c’est difficile pour les enseignants aussi car eux aussi ont été formés pour un monde qui n’existe plus. Lire, écrire, compter n’a jamais été LE projet de l’école. C’est faux de dire cela, c’est du révisionnisme scolaire.

L’école ne tient pas compte dans ses enseignements des évolutions du monde. Il faut une école qui enseigne aux enfants qu’ils sont interdépendants, avec leur milieu, avec le vivant, avec la nature, avec les autres peuples. L’école n’apprend pas l’écologie. Elle ne l’enseigne pas de façon systémique. L’école n’enseigne pas le numérique, ses enjeux. Pourtant, on équipe des régions entières en tablettes et ordinateurs. On donne une technologie aux professeurs et aux élèves qu’ils ne maîtrisent pas. Ils en sont de simples usagers. Avant d’apprendre à écrire, on apprend à dessiner pour maîtriser une technologie, ses outils, comme un stylo. On a des méthodes, des approches pour la lecture et l’écriture mais pas sur le numérique. Et c’est normal, car on ne sait pas comment fonctionne un algorithme.

L’écologie s’apprendrait donc à l’école, comment ?

On fait parfois les choses à l’envers. Ainsi, nous avons dû désigner dans les établissements scolaires des éco-délégués alors même que les élèves ne bénéficient pas d’enseignement sur l’écologie. On a donné une représentation institutionnelle alors que cela ne correspond à aucun aspect programmatique systémique et organisé qui suppose de redéfinir la grammaire même de l’école. L’écologie suppose l’interdépendance et cela dans une école française qui suppose la compétition. Il y a une injonction contradictoire : on ne peut pas demander aux jeunes d’être éco-délégués tout en justifiant un système de compétition élitiste.

Comment la France a-t-elle accueilli Greta ? Comment des gens ont-ils pu la ramener à sa condition d’Asperger ou de jeune fille alors qu’elle pose des questions centrales ? La société a une part de responsabilité dans cette dévalorisation systémique de sa parole. Il revient donc à l’école de lutter contre ces stéréotypes. Quand on rend les outils numériques obligatoires à l’école, on peut a minima avoir une réflexion sur leur fabrication, leur origine.

Votre vision de la jeunesse se traduit par une proposition politique pour abaisser le droit de vote et d’une formation commune plus longue ?

Oui, je propose d’abaisser l’âge de la majorité à 16 ans pour obliger les adultes en place à prendre en compte la jeunesse, en tant que sujet politique à part entière. Cela lui permettrait de s’organiser, d’exiger et d’arrêter de quémander. D’ailleurs, la Belgique vient tout juste de mettre en place cet abaissement de la majorité pour le vote pour les élections européennes. Le mouvement féministe nous l’a appris, si tu ne votes pas, tu n’existes pas.

Il faut aussi aller à l’école plus longtemps, car la masse de savoirs, dont la jeunesse a besoin aujourd’hui dans le changement civilisationnel dans lequel on est, nécessite d’aller plus longtemps à l’école. De la même façon qu’on est passé de l’école obligatoire de 14 à 16 ans, il faut passer de 16 à 18 ans.

Il faut mettre en place, ce qui n’existe nulle part dans le monde, un lycée unique, gratuit comme en Finlande, unique comme nulle part dans le monde. On ne peut plus séparer les savoirs théoriques des savoirs pratiques. Le système scolaire produit le tri : les «bons» élèves dans le général et les «mauvais» élèves dans la voie pro.

On a des experts du lycée unique, qui s’appellent les professeurs des écoles, qui eux dans leur exercice ne séparent pas les savoirs.

Vous étiez co-président de la FCPE avant d’être élu député, quelle place pour les parents co-éducateurs dans l’école ?

Avant le parent d’élève n’existait pas, on déposait son enfant à l’école et le professeur avait droit “de vie ou de mort” sur l’élève. Quand la FCPE arrive, on invente la communauté éducative. Le parent d’élève pense en tant que parent d’élève et donc comme acteur. Il est capable de siéger dans les institutions et de porter une parole autorisée. On est capable de penser l’école, d’agir comme des co-éducateurs. Les enseignants et les parents doivent travailler ensemble, parce qu’on a la responsabilité d’éduquer un enfant, chacun à sa place, avec ses méthodes. On a un espace commun qui est l’École, qui est là pour les enfants.

Dans un monde qui est pensé à hauteur d’enfants, il ne devrait pas y avoir de fermetures de classes. Les petits effectifs devraient être la règle. Si l’école se pense pour les plus vulnérables, elle sera aussi adaptée à ceux qui vont bien. C’est tout le contraire de notre système élitiste et compétitif qui ne produit que de la souffrance.

Devenir parent s’apprend : on doit apprendre aux parents qu’un acte de violence n’est jamais un acte éducatif. C’est un travail que de s’affranchir de la culture de la domination. On se forme de manière permanente dans un rapport d’échange. Être parent d’élèves suppose de devenir un parent dans le monde actuel et de pouvoir produire des idées qui permettent aux enfants de devenir des adultes conscients d’eux-mêmes qui construisent leur propre liberté, y compris indépendamment des parents. Le rôle d’un parent, c’est de permettre à l’enfant de s’affranchir de ce qu’on lui apprend, et ce n’est pas facile.

Propos recueillis par Djéhanne Gani

Partagez cet article