L’École publique a-t-elle encore un avenir à Paris ? L’alerte de Julien Grenet

Lors de la soirée débat « Paris mobilisé pour la défense de l’école publique» organisée par la mairie de Paris, Julien Grenet, chercheur spécialiste de la question de la mixité sociale lance l’alerte sur l’avenir de l’école publique à Paris. Il soulève une question politique majeure : à ce rythme, sans action politique, un collégien sur deux sera scolarisé dans le privé d’ici quelques années. L’enseignement privé accueillera quasi exclusivement les catégories sociales favorisées. L’exemple parisien est une loupe, certes extrême, il met en lumière la hausse de la ségrégation sociale et des inégalités qui se creusent et ce sur tout le territoire.

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Julien Grenet est directeur de recherche au CNRS, professeur à l’École d’économie de Paris et directeur adjoint de l’Institut des politiques publiques. Spécialiste de l’économie de l’éducation, ses travaux ont porté sur la mixité à Paris, sur les expérimentations des collèges multi secteurs Berlioz et Coysevox comme sur la réforme d’Affelnet pour l’affectation en lycée. Le 6 février, lors de la soirée organisée par la Mairie de Paris «Paris mobilisé pour la défense de l’école publique», il a présenté les résultats de ses travaux statistiques sur les perspectives de l’école publique.

Un tournant historique: une menace de séparatisme social entre l’école privée et publique

Paris se situe à un tournant : un fossé social se creuse entre l’école publique et l’école privée explique Julien Grenet. Les dynamiques de ségrégation s’amplifient, notamment avec la baisse démographique que connaît la capitale. Si au niveau national, les chiffres des élèves inscrits dans le privé sont stables et presque deux fois moins importants qu’à Paris, la part du privé augmente chaque année à Paris. Les statistiques montrent également de manière incontestable que la séparation est sociale entre écoles privées et écoles publiques : la composition sociale des écoles privées est très favorisée à Paris. Beaucoup n’accueillent aucun élève défavorisé, et les écoles privées sous contrat comptent en moyenne 3% d’élèves issus de familles socialement défavorisées contre 24% dans les écoles publiques.

La baisse démographique: un accélérateur de séparatisme social dans l’école publique

Entre 2010 et 2023, le nombre de naissance a diminué de 31% à Paris. Cette baisse démographique a des effets directs sur le nombre d’élèves parisiens. En comparant le nombre des naissances avec le nombre d’élèves inscrits en CP

six ans plus tard, le chercheur souligne que depuis 2016, le nombre des effectifs inscrits en CP a diminué de 22%, répartis de manière très inégale entre le secteur privé et public puisque les écoles publiques absorbent quasiment la majorité de la baisse démographique avec une baisse de 16% en CP. La baisse des effectifs, conséquente de la baisse démographique, pèse quasi intégralement dans l’enseignement public. Avec un nombre stable des effectifs dans le privé, la part du nombre d’élèves scolarisée dans les établissements privés augmente d’un point de pourcentage chaque année.

Si en 2016, 22,7% d’enfants étaient scolarisés dans le privé, ils sont 26,5% à la rentrée 2024. En 2020, 35, 4% des collégiens étaient scolarisés dans le privé, ils sont 38,6% à la rentrée 2024.

Des projections d’apartheid social et scolaire dans 10 ans

Julien Grenet souligne les conséquences alarmantes de la ségrégation sociale à Paris car les établissements privés accueillent les catégories sociales favorisées. Aujourd’hui, plus d’une famille sur 2 (55% à la rentrée 2023) de catégorie sociale favorisée scolarise son enfant dans l’enseignement privé. Ce chiffre atteint, dans les projections démographiques, 76% dans 10 ans, soit une ségrégation extrême. Quant aux collèges publics, ils accueilleraient 1/3 d’élèves de classes défavorisées, 1/3 des classes favorisées et 1/3 de classes moyennes. Cette dernière catégorie semble avoir disparue des établissements scolaires, voire de Paris ce qui n’est, sans doute, pas sans effet sur des compositions sociales aussi clivées.

Julien Grenet démontre avec les projections démographiques et statistiques que l’enseignement privé peut devenir majoritaire à Paris, en l’espace de dix ans sans l’intervention d’une politique en faveur de la mixité sociale qui freine l’appétit du privé et la mécanique d’entre-soi. Sans action des pouvoirs publics, à Paris, 1 enfant sur 2 sera scolarisé dans le privé dans 10 ans.

Comment échapper à ce modèle ségrégatif ?

Selon Julien Grenet, dans l’hypothèse où tous les élèves seraient scolarisés dans leur collège de secteur, la ségrégation sociale des collèges serait divisée de moitié. La concurrence du système scolaire entre les secteurs public et privé est un facteur déterminant dans le phénomène de ségrégation sociale. L’autre moitié s’explique par la ségrégation résidentielle. Limiter la présence des écoles privées serait donc une solution comme celle de répartir les fermetures de classes entre les secteurs privés comme publics.

Des leviers contre le phénomène de ségrégation sociale dans les établissements scolaires parisiens

Au regard des données existantes comme des projections, le conditionnement des financements publics à des critères de mixité permettrait d’endiguer les phénomènes de séparation sociale entre l’école publique et l’école privée. Des expérimentations pour favoriser la mixité sociale et scolaire comme celle de collèges multi-secteurs à l’instar des collèges Berlioz et Coysevox pourraient également se multiplier pour brasser des publics socialement distincts. Afin d’endiguer la hausse de la part du privé, la fermeture de classes dans le privé devrait accompagner les fermetures de classes du public. Enfin, renforcer une étape de contrôle d’accès aux établissements privés serait une garantie de respect de l’article 1 de la loi Debré (qui stipule l’accueil de tous les enfants quelle que soit l’origine sociale, la croyance ou l’opinion). Le contrôle pédagogique et financier des établissements privés doit aussi être renforcé. Julien Grenet propose la création d’une plateforme publique pour recenser les inscriptions dans les écoles privées sous contrat. A ce jour, l’Etat n’a aucune possibilité de comparer la composition sociale des candidats avec les élèves inscrits dans une École et ne peut juger de la non-discrimination, c’est-à-dire de l’égalité de tous les enfants à l’accès à l’école privée, malgré l’esprit de la loi et les financements publics. Pour Julien Grenet, une étape de régulation est nécessaire pour inciter le privé à mettre en place des frais de scolarité progressifs. Le chercheur interroge également la pertinence d’intégrer des lycées privés à Affelnet, tout comme celle d’introduire des quotas selon le profil social et enfin la modulation des dotations publiques selon des critères de mixité.

Ce cri d’alarme fondé sur la recherche sera-t-il suivi d’effet et de décisions politiques courageuses pour empêcher la séparation sociale des enfants dans les écoles avec l’école des riches – les écoles privées, et d’autre part l’école publique, l’école des autres, les pauvres. Finalement, cette question scolaire, le combat pour l’école publique, ne met-il pas en lumière la forte ségrégation sociale, galopante, dont souffre Paris mais aussi les inégalités qui se creusent, sur tout le territoire, avec l’affaiblissement d’une classe moyenne, déclassée et appauvrie…

Djéhanne Gani

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