Entretien avec Régis Juanico, auteur de Bougeons : «C’est au moment où on a le plus besoin d’EPS, qu’il y en a moins»

Régis Juanico, ancien député à l’Assemblée Nationale, notamment co-rapporteur d’un rapport d’une mission d’évaluation sur les politiques de prévention en santé publique en 2021, publie l’ouvrage «Bougeons» pour promouvoir l’activité physique. C’est un manifeste de lutte contre la sédentarité, une alerte documentée et fondée sur des données scientifiques qui dresse un état des lieux indiscutable sur les effets délétères de l’inactivité physique. L’auteur souligne la transversalité de la question aux enjeux scolaires, sociaux, sanitaires. C’est un sujet de santé publique, de prévention contre des pathologies chroniques et une affaire d’éducation également. Dans Bougeons, Régis Juanico appelle à une mobilisation générale qui doit être soutenue par les pouvoirs publics, de la naissance à l’EPHAD. Les risques sanitaires induits par l’insuffisance d’activité physique et par la sédentarité sont majeurs.Dans son manifeste contre la sédentarité,  Régis Juanico propose des pistes pour «bouger» les corps, les mentalités et bouger les lignes et éduquer à l’activité physique et la mobilité, notamment à l’école. L’Ecole est un levier et lieu essentiel où des changements de pratiques auraient et ont des effets positifs et durables. Régis Juanico a accordé un entretien au Café pédagogique pour exposer les enjeux ,résultats de ses réflexions et ses propositions.

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Pourquoi sous-titré votre livre « Bougeons » par «manifeste pour des modes de vie plus actifs » ?

Cet ouvrage est un plaidoyer pour «l’activité physique du quotidien», pas une injonction, mais bien pour saisir toute activité hors de la chaise, y compris à l’école : il faut bouger en classe, aménager des cours de récréations actives pour favoriser les jeux mixtes et les abords des écoles pour favoriser les mobilités actives pour venir à l’école, à pied ou à vélo !

Mon livre est une alerte sanitaire de plus, sur la sédentarité et ses conséquences sur la santé. La question de l’inactivité physique, et de la perte de capacité physique des nouvelles générations notamment, qui est observée et documenté depuis les années 70. On sait que l’activité physique est le capital santé, qui est en question un bon prédicateur de l’espérance de vie en bonne santé et de développement de maladies chroniques. Or, les indicateurs s’affolent. Si l’activité physique ne devient pas une bonne habitude qui est créée au moment de l’enfance, elle ne pourra pas jouer son rôle protecteur par rapport à de nombreuses pathologies qui surviennent. La sédentarité et l’inactivité physique tuent, à long terme.

Le livre propose des pistes pour les pouvoirs publics pour avoir une stratégie nationale de lutte contre la sédentarité et mode de vie plus actif. On sait que l’injonction ne fonctionne pas, donc il faut faire autrement, avec des petites mesures mises bout à bout: une dose d’activité physique régulière, comme un médicament, 3-4 fois par semaines et en complémentarité travailler la souplesse, l’endurance, d’où les propositions de dispositions très pratiques dans mon livre dès la naissance en termes de prévention. Tout cela est nécessaire pour lutter contre la nouvelle addiction que j’appelle «à la chaise». Je mentionne aussi dans le livre le temps passé à l’écran et leurs effets. Or, l’activité physique préserve la santé mentale et renforce les capacités cognitives. C’est un bon moyen de prévenir les troubles d’anxiété et de dépression et d’améliorer les résultats à l’école.

Quels constats en matière de sédentarité des jeunes dressez-vous et quels risques présentent-ils ?

On bouge beaucoup avant 6 ans, avant l’entrée à l’école primaire. Ensuite, à l’adolescence, on assiste à une baisse régulière des indicateurs d’activité physique durant l’adolescence. Les chiffres de l’OMS notamment sont très inquiétants, et particulièrement chez les filles, seules 16% d’entre elles atteignent la recommandation d’au moins 1h d’activité physique quotidienne contre 40% des garçons. Le décrochage de l’activité physique est vraiment préoccupant, et il se poursuit durant les études, puis durant la vie professionnelle et la vie familiale.

Le système – l’organisation scolaire et le temps passé à l’école – jouent un rôle dans la sédentarité. On estime aujourd’hui que le temps passé notamment à l’école, assis ou devant les écrans de loisirs, représente 55 % de la journée pour les enfants du primaire et 75 % pour des adolescents de 14-15 ans.

Le constat pour les cardiologues, c’est l’apparition de maladie d’adultes, de « vieux » chez les adolescents à un stade précoce, comme le diabète de type 2, l’hypertension, et des phénomènes de surpoids et d’obésité infantile, qualifiés de tsunamis sanitaires par l’OMS. La prévalence du surpoids et de l’obésité pédiatrique touche 34 % des enfants de deux à sept ans, dont 18 % sont en situation d’obésité. On a là des signaux extrêmement inquiétants du point de vue de la santé des enfants et des adolescents. La bonne nouvelle, c’est qu’il ne faut pas grand-chose dans ses modes de vie pour changer cela. La montée des escaliers plutôt que prendre l’ascenseur par exemple, mais aussi des activités très quotidiennes : se lever et marcher régulièrement pour rompre les moments prolongés de sédentarité.

On retrouve une de vos propositions reprise récemment par le président Emmanuel Macron qui recommande une heure d’activité par jour d’activité physique à l’école. Qu’en pensez-vous?

Si on substitue 30 min de sédentarité par 30 min d’activité physique même d’intensité modérée, on fait reculer de façon très significative la mortalité générale, mais aussi la survenue de maladies chroniques très handicapantes. Mais il ne faut pas faire du dispositif des 30 minutes d’activité physique par jour un « totem » qui enfermerait les équipes pédagogiques. Il faut que ces dernières se sentent libres d’organiser ce temps supplémentaire d’activité physique quotidienne. Toute activité hors de la chaise, même 10-15 minutes, est bonne à prendre. Une mission parlementaire d’évaluation sur la « généralisation » des 30 min d’activité physique quotidienne à l’école conduite par Jean-Jacques Lozach va démarrer ses travaux au Sénat. Ce n’est pas parce qu’on livre des kits pédagogiques dans des écoles que ceux-ci sont utilisés régulièrement. Entre les annonces du président et la réalité du terrain, il y a sans doute un fossé.

Je fais des propositions pour que les activités soient plus ludiques et moins chronophages, car je pense qu’il y a beaucoup d’équipes pédagogiques qui sont un peu bridées avec les directives (programmes, emploi du temps) et quand il y a trop de priorités, et bien il n’y a plus de priorités. Nous pouvons constater que les horaires obligatoires d’EPS en primaire peuvent en pâtir. Dans un rapport parlementaire au Premier ministre que nous avons fait, nous avons vu qu’entre le temps théorique de 3h et le temps effectif, il y avait une baisse, du simple au double. Le temps réel est plutôt de 1h50 du fait du temps de déplacement vers les équipements sportifs, du temps de préparation, ou encore de la pression l’apprentissage des fondamentaux mis en priorité et donc a tendance à grignoter le temps consacré à l’EPS théorique. Un autre problème que nous avons signalé dans un rapport parlementaire en 2021, c’est que l’enseignement de l’EPS dans les INSPE pour futurs professeurs des écoles a été réduit d’un tiers.

Pourquoi certains dispositifs gouvernementaux restent-ils dans des phases d’expérimentation sans passer à une phase de généralisation? Les 30 minutes quotidiennes d’activité physique par jour ont été expérimentées quelque temps dans l’académie de Créteil, mais son déploiement national, qui devait être effectif à la rentrée 2022, reste poussif. Il n’y a pas eu de volonté politique de le déployer plus vite après avoir observé les effets positifs.

Vous avez d’autres propositions pour le temps scolaire. Que pourrait faire l’École pour les adolescents notamment ?

En 2013, François Carré et la Fédération française de cardiologie alertaient déjà sur la perte de 25 % de la capacité physique des jeunes de neuf à seize ans entre 1971 et 2011, à partir du constat qu’ils courent moins vite et moins longtemps. En 1971, un collégien courait 600 mètres en moyenne en 3 minutes et 4 minutes pour cette même distance en 2011. Ces chiffres datent de plus de dix ans, mais les premiers résultats des nouvelles évaluations en cours chez nos collégiens les confirment , nous savons que la perte de capacité cardiorespiratoire est aujourd’hui bien plus inquiétante.

Au collège, outre le renforcement des heures d’EPS après la 6e. Il faut revaloriser l’EPS, lui donner un rôle central dans le 1er et Second degrés. On a la force des 35 à 40 000 enseignants. C’est plus difficile dans le 1er degré, le sport scolaire avec l’USEP n’est pas aussi présent que dans le second degré avec l’UNSS, mais son rôle est central. Il faut renforcer l’EPS avec une augmentation du nombre d’heures au collège et au lycée, là où l’on a un décrochage des adolescents.

C’est au moment où on a les plus besoin d’EPS, qu’il y en a moins. On passe de 4h en 6e, à deux heures hebdomadaires au lycée.

On peut se fixer un temps d’activité physique supplémentaire ou encore intégrer un temps avant les cours et de la pause méridienne, comme le périscolaire dans le 1er degré. Il faut aussi développer les possibilités de prendre son vélo ou marcher plutôt que la voiture sur le trajet domicile-établissement scolaire.

Vous avez également une proposition qui approfondit la mission du professeur d’EPS, laquelle?

Le collectif « Pour Une France en forme » a réalisé une étude intitulée « Inverser les courbes » dans trois académies avec 9000 collégiens de 6e en leur faisant passer des tests qui confirment la perte de capacités physiques. La nouveauté, c’est qu’il leur a été proposé un programme d’accompagnement personnalisé en cours d’EPS avec deux séquences d’activité physique de 15min supplémentaires hebdomadaires pendant 6 semaines. Les résultats sont spectaculaires. On a 2,5 fois plus de capacité physique retrouvée sur le groupe bénéficiant de ce programme. La sédentarité et l’inactivité physique ne sont pas une fatalité. Il faut à présent discuter avec les principaux intéressés, les enseignants EPS du Second degré pour qu’on ait un dispositif généralisable dans tous les collèges de France. Les tests sont à faire régulièrement et sans pression pour les élèves, comme cela a été fait en Slovénie.

Ces tests pourraient être intégrés au programme d’EPS, dans le cadre d’un renforcement des horaires d’EPS.  Avec le test de condition physique pour les élèves de 6e, puis dans les autres niveaux, on renforce les missions de formation de citoyens éclairés. C’est une dimension forte de santé publique.

Propos recueillis par Djéhanne Gani

« Bougeons » publié par la Fondation Jean Jaurès

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