Caroline Renson :  « Professeure en Lycée Professionnel, ça cochait toutes les cases, transmettre de la connaissance et des codes »

Quels effets de la réforme du lycée professionnel sur les enseignants et enseignantes ? sur les élèves ? La réforme a beaucoup été commentée par les acteurs politiques, syndicaux ou les chercheurs. Aujourd’hui, le Café pédagogique fait le choix de donner la parole à une enseignante. Le lycée professionnel accueille des « élèves cabossés, souvent issus de l’immigration, et qui ont des familles éloignées de l’école. Ce sont des élèves qui n’ont pas les codes pour ne pas être systématiquement discriminés par leur vocabulaire, leur tenue, leur ethos en général » nous confie Caroline Renson. Pour elle la réforme est une « arnaque », « c’est d’abord une diminution des heures disciplinaires. Ensuite, c’est une arnaque sur la co-intervention et le chef d’œuvre. Quel est l’intérêt pédagogique de croiser un référentiel de français et de productique mécanique ? Il y a eu beaucoup de coupes horaires disciplinaires pour une efficacité pas maximale. Nous avons perdu près de 2 à 3 heures d’enseignement proprement disciplinaire pour mettre en place le chef d’œuvre et la co-intervention ».

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Caroline Renson est professeure de Lettres-Histoire au lycée professionnel (PLP) Condorcet de Montreuil en Seine Saint-Denis depuis 10 ans. Auparavant, elle est restée 10 ans dans son premier poste dans un lycée de Rosny sous-bois durant lequel elle a vécu les émeutes de 2005 : « j’étais convaincue de la nécessité d’être là, de récolter les affects dans les classes. Rester institutionnelle tout en comprenant la révolte ». Ces propos résument l’approche de Caroline, pour qui la mission d’émancipation et d’éducation des classes populaires est consubstantielle à son métier de professeure : « PLP, ça cochait toutes les cases, transmettre de la connaissance et des codes  ». Intéressée par l’audiovisuel, milieu dans lequel elle a commencé à travailler avant de passer le concours, et par la psychologie sociale, Caroline a repris les études à côté de son enseignement, en Master et a réalisé une enquête de terrain sur une place enclavée d’un quartier pour étudier les facteurs psycho sociologiques qui pouvaient mener au décrochage ou pas des jeunes.

Un mot sur votre lycée, votre travail ?

Le lycée Condorcet est un Lycée polyvalent avec une petite unité professionnelle. Je suis dans une culture d’établissement de Lycée Général, une salle de professeurs très dynamique avec quelques agrégés, des doctorants et beaucoup d’enseignants passionnés. La partie professionnelle du lycée Condorcet est tournée vers les métiers de l’industrie. Les élèves du lycée se mélangent dans la cour, la population est mixte.  J’enseigne dans les sections en Traitement des matériaux (TDM) et technicien en réalisation des produits mécaniques (TRPM). Cette filière forme à des métiers comme techniciens d’usinage ou tourneur fraiseur automatisé, c’est la famille de métiers REMI (métiers de la réalisation d’ensembles mécaniques et industriels). Les élèves qui arrivent sont souvent là par défaut. Ils travaillent en atelier – tourneur fraiseurs – sur des grosses machines, ils font de la programmation, font du dessin industriel. Et l’autre groupe travaille le traitement des matériaux, c’est un grand atelier avec des produits chimiques. C’est une filière porteuse et peu connue, il y a une dévalorisation du métier d’ouvrier spécialisé dans les imaginaires. On a beaucoup d’élèves en stage dans des lieux souvent tenus par des anciens élèves. J’enseigne aussi en système numérique (SN). Là, les élèves sont assez motivés. Ils ont souvent demandé cette filière dans leur premier choix.

J’enseigne les lettres et l’histoire et je fais régulièrement des projets donc c’est important d’avoir un poste fixe. Chaque année, j’ai à cœur de mener un projet pédagogique par classe avec des intervenants extérieurs. Avant la réforme et la mise en place du chef d’œuvre et de la co-intervention, je menais déjà des projets avec le professeur de système numérique.  On avait 1 h alignée en français – informatique, on faisait un blog de classe, c’était déjà de la co-intervention. Je participe au projet « lycée au cinéma », Télémaque (éducation aux médias de France Télévision). Je participe à un dispositif avec le théâtre de Montreuil. Cette année, je travaille avec un réalisateur qui aidera les élèves à porter un point de vue sur leur environnement. Je fais beaucoup d’ateliers d’écriture, pour des restitutions écrites après les sorties scolaires culturelles, sur des documentaires, ou des pièces de théâtre. C’est une petite fierté, cette exigence sur le support, des traces écrites. Cette production écrite, c’est au moins une fois par séquence, on résume, ça aide la subjectivité. En LP, on a besoin de faire de la pédagogie, on ne peut pas faire de cours magistral. L’enjeu pour moi, c’est de créer un rapport de confiance, d’impliquer les élèves dans leur scolarité, dans la citoyenneté.

Quel regard portez-vous sur le projet de réforme ?

C’est d’abord une diminution des heures disciplinaires. Ensuite, c’est une arnaque sur la co-intervention et le chef d’œuvre. Quel est l’intérêt pédagogique de croiser un référentiel de français et de productique mécanique ? Il y a eu beaucoup de coupes horaires disciplinaires pour une efficacité pas maximale. Nous avons perdu près de 2 à 3 heures d’enseignement proprement disciplinaire pour mettre en place le chef d’œuvre et la co-intervention. C’est une arnaque d’avoir voulu systématiser une pratique. Un projet, c’est un binôme donc il faut une entente commune avec le collègue. Et quid des contractuels ? Cela demande beaucoup d’adaptation et de travailler en amont, l’année scolaire précédente. Et il y a toujours beaucoup de contractuels en LP. Je ne comprends pas l’intérêt du chef d’œuvre car il y a beaucoup de production dans les ateliers.

Pour le chef d’œuvre, c’est une arnaque car soit l’élève a une idée, et on l’accompagne, on s’adapte. Ou alors les élèves n’ont pas d’idée de projet ce qui est souvent le cas et il faut venir avec une idée de projet. Dans les deux cas, il y a une multiplication des heures de préparation qui ne sont pas rétribuées.

Une autre arnaque de la réforme, est la réorientation des élèves après la seconde dans les familles de métiers. Par exemple, au lycée nous avons une filière TNE (Transition numérique et énergétique). Les élèves font une seconde TNE, puis ils peuvent choisir une première en système numérique, en électrotechnique, en chauffagiste … Mais au lycée, nous n’offrons qu’une première dans les métiers de la maintenance informatique. Certains élèves veulent quitter le lycée en Première pour rejoindre un lycée qui leur permettra de faire une première en électrotechnique. Il faudra donc travailler sur leur orientation et leur proposer un lycée qui offre cette section. En espérant que le lycée proposé a gardé des places en première pour accueillir ces élèves. Je ne suis pas très optimiste sur ces possibilités d’orientation au sein d’une même famille de métier. Souvent, les établissements gardent leurs effectifs au sein du lycée. Pour la famille de métier REMI, beaucoup d’élèves (dont ce n’était pas le premier choix en seconde) veulent se réorienter dans une autre famille de métier, de plus certains élèves ont décroché. Ainsi, entre les 24 élèves de Seconde, il n’en reste plus que 18 en première actuellement.

Et la dernière arnaque de la réforme, c’est qu’on a moins de temps pour préparer l’entrée en BTS car la perspective post LP du BTS devient difficile avec la perte horaire disciplinaire. Je n’ai pas le temps de prendre du temps pour expliquer aux élèves ce qu’est une synthèse de documents en BTS. Et les heures de cours, et non de stage, sont essentielles pour la socialisation professionnelle, je travaille sur le savoir être, pour que les élèves ne se fassent pas discriminer.

Quel rôle le lycée professionnel joue-t-il pour les élèves ?

Les élèves sont cabossés. Ils sont souvent issus de l’immigration, et ont des familles éloignées de l’école. Ce sont des élèves qui n’ont pas les codes pour ne pas être systématiquement discriminés par leur vocabulaire, leur tenue, leur ethos en général. Dans l’établissement, il y a une conseillère d’orientation et une antenne MLDS (mission de lutte contre le décrochage scolaire) pour accompagner l’orientation des élèves.

Depuis septembre, le LP sort de l’invisibilisation, le projet de réforme a attiré l’attention sur le monde de l’apprentissage et la formation en lycée professionnel. Il y a une refonte structurelle de notre ministre sous double tutelle, travail et éducation nationale. Le LP est peu connu et il y a beaucoup d’amalgame dans l’opinion entre apprentissage et lycée pro, notamment car il y a une campagne médiatique pour l’apprentissage.  Tous les élèves prébac qui le souhaitent ne sont pas accueillis en apprentissage. Tandis qu’au lycée professionnel, nous acceptons tous les élèves. L’apprentissage c’est l’alternance entre des cours en classe et l’apprentissage du métier dans l’entreprise. Au lycée professionnel, les périodes de formation en milieu professionnel sont de plus courte durée (22 semaines de stage sur 3 ans). Cela permet au lycéen de s’acclimater plus doucement au milieu professionnel. Il apprend davantage les gestes du métier avec ses professeurs d’atelier du lycée. En entreprise, il y a peu de temps pour l’apprentissage. L’alternant doit être productif.

Propos recueillis par Djéhanne Gani

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