« L’exception consolante. Un grain de pauvre dans la machine », par Jean-Paul Delahaye ou le combat pour une Ecole au service des plus fragiles

« L’exception consolante » est un témoignage d’amour filial fort, dans lequel, avec humilité, l’auteur se dévoile, dans lequel l’intime se mêle au politique sans jamais céder au misérabilisme ou militantisme sectaire. Héritier de la colère de sa mère, Jean-Paul Delahaye la transforme en action politique et en combat pour l’école publique, au service des plus fragiles.

« L’exception consolante. Un grain de pauvre dans la machine » est un témoignage d’amour filial fort, dans lequel, avec humilité, l’auteur se dévoile, dans lequel l’intime se mêle au politique sans jamais céder au misérabilisme ou militantisme sectaire : l’intime devient politique, le politique est l’intime. Les tripes, le cœur ont fait du Jean-Paul enfant qu’on devine effacé, un homme qui veut changer l’ordre, injuste, des choses.

L’échec scolaire des plus pauvres n’est pas un accident[1].

Le fils devenu Inspecteur Général, conseiller spécial du ministre, directeur général de l’enseignement scolaire revient sur son enfance et son parcours pour remercier sa mère. C’est un témoignage de l’enfant que fut, qu’est peut-être toujours Jean-Paul Delayahe, en mémoire, hommage et lutte pour les siens. Car Jean-Paul Delahaye refuse d’être, d’incarner l’« exception consolante » (expression de Ferdinand Buisson, directeur de l’enseignement primaire de Jules Ferry) « propre à faire oublier l’injustice foncière qui reste la règle générale. » Il refuse d’être l’alibi pour que rien ne change pour les autres. Dans les bureaux du Ministère, il n’oublie pas sa mission et soif de justice sociale, il n’oublie pas celles et ceux pour qui il doit agir, du fossé des inégalités renvoyant dos à dos « eux » et « nous » : « Pour certains, l’école publique n’est qu’un dossier à traiter, un problème, un coût, ce n’est pas la République en actes. Et après avoir contribué à démanteler le service public dans les postes à responsabilités qu’ils monopolisent, ils retournent d’où ils viennent, dans le privé. » p. 19. Dans les ors de la République, il s’amuse que les mots Dorures – ordures aient les mêmes lettres.

Une ode à une mère courage

Ce livre est une adresse à la mère, qu’il tutoie tout du long, un monologue ouvert aux autres ou dialogue avec sa mère. Ce récit dédié à sa mère rend hommage à cette femme qui s’est « tuée à la tâche » (35), morte trop tôt d’un cancer après une vie sans répit ni temps du soin pour elle. Luxe pour les autres. C’est une déclaration d’amour à une mère sacrificielle, courageuse qui a mené une vie de labeur au service des autres, pour ses enfants. Jean-Paul Delahaye dresse le portrait d’une femme seule, pauvre, de ses « boulots » pour élever seule ses 5 enfants. Jean-Paul Delahaye donne à voir le souci permanent de la vie de celles et ceux qui n’ont pas le luxe de ne pas compter, il fait (res)sentir le manque, le manque de confort où l’on compte, jusque l’absolu nécessaire à une vie digne, se loger, se nourrir, s’habiller, le manque de culture générale, la culture des « autres ».

Il montre et se rappelle les humiliations et difficultés quotidiennes du pauvre pour survivre dignement : l’ardoise chez l’épicière, l’attente du facteur, du jour des versements des allocations, la trop longue liste de fournitures scolaires, ce qui distingue la vie d’un pauvre et l’exclut du monde des « autres », celui des sports d’hiver, des vacances, des voyages scolaires. Jean-Paul Delahaye raconte l’économie de la laine, …. de bouts de laine….sa mère détricotant les pulls pour les suivants. Jean-Paul Delahaye dit son sentiment de honte, de colère, mais aussi de reconnaissance envers certains appuis, gestes et attentions, la solidarité de quelques fidèles, le curé, le directeur, l’enseignant, l’épicier, les parents d’amis.

Le combat pour l’école publique, au service des plus fragiles

Héritier de la colère de sa mère, il la transforme en action politique, conscient des résistances à la transformation de l’école car « le fonctionnement élitiste et inégalitaire de notre école ne nuit pas à tout le monde. » (73) Etre une exception n’a pas consolé Jean-Paul, cela l’a structuré et armé d’empathie pour comprendre et lutter contre les injustices. Sa « réussite » scolaire et sociale lui a donné des armes et outils pour lutter pour celles et ceux qui lui ont ressemblé, celles et ceux qui sont stigmatisés, rendus invisibles, inaudibles par un système de domination auquel l’Ecole participe. Les pauvres sont les grands perdants de la compétition scolaire à l’œuvre en France. La lutte contre les inégalités et le séparatisme scolaire et social dans notre école est affaire de justice mais aussi de démocratie.           

Le récit de Jean-Paul Delahaye sur son enfance s’entre-mêle de passages de son rapport « Grande pauvreté et réussite scolaire, le choix de la solidarité pour la réussite de tous » qu’il a remis à la Ministre de l’Education Nationale en 2015. Le récit intègre également des paroles de sa mère, expression populaire comme du patois picard. La langue aussi exprime la volonté de mémoire, à travers elle, il se fait la voix de cette invisible, inaudible. La lutte contre l’oubli est un acte militant, il n’oublie pas l’homme de ménage devenu conseiller du ministre, il transforme les humiliations sociales de l’enfance en fierté :« ne plus avoir honte de son passé est une sorte de libération » (35).

En invoquant un souvenir où enfant, il eut honte de sa mère, Jean-Paul Delahaye dit la honte de sa honte et vouloir prendre sa mère dans ses bras. A la lecture de son récit, l’enseignante que je suis, la mère, veut prendre cet enfant par la main, l’enfant que je fus, ressens et pleure la colère, les humiliations, la honte et la militante que je suis, avec humilité, entend poursuivre dans son sillon, le chemin de l’action politique.

Djéhanne Gani

 L’exception consolante. Un grain de pauvre dans la machine. Récit. Jean-Paul Delahaye. Editions de la librairie du labyrinthe, 2021

[1] « l’échec scolaire des plus pauvres n’est pas un accident. cette situation est inhérente à un système qui n’a jamais été organisé pour faire réussir tous les élèves, mais qui est tout entier et historiquement concentré, y compris dans ses choix budgétaires, sur l’objectif de tri et de sélection des meilleurs » (Delahaye).  https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/06/13/education-les-responsables-de-l-echec-sont-de-retour_5143481_3232.html

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