Marseille : comment les données statistiques et de la recherche accompagnent une politique publique

Les données ministérielles comme celles de la recherche sont sans appel : le système éducatif est inégalitaire et ségrégué et le fossé se creuse. Les IPS (Indices de Position Sociales) rendus publics, après un procès mené par un journaliste, permettent d’objectiver les écarts sociaux entre les établissements scolaires tout comme l’état de la mixité sociale. Ce projet avait été lancé sous le ministère de Najat Vallaud-Belkacem dans la foulée de la dernière grande réforme de l’éducation prioritaire datant de 2015. L’IPS est calculé selon les catégories socio-professionnelles des parents, qui on le sait, influent sur la réussite scolaire des enfants. Ces données confirment des écoles privées majoritairement plus favorisées tout comme une disparité entre établissements publics. La mixité est un enjeu social et politique majeur en termes de cohésion sociale : l’École n’est-elle pas le premier lieu de rencontre, la première expérience de collectif, de rencontre de l’autre au sortir de la famille ? Les études scientifiques et les expériences de terrain attestent des effets bénéfiques de la mixité sociale et scolaire sur les élèves. Dans quelles mesures, les politiques publiques prennent-elles en compte les données scientifiques, dans quelles mesures ces dernières les éclairent-elles ? A Paris, les IPS sont pris en compte dans l’affectation des élèves de 3eme en 2nde avec la plateforme Affelnet. Marseille introduit à son tour l’usage des données relatives à l’IPS pour accompagner une politique publique et moduler le barème du financement des moyens accordés aux écoles communales. Ces changements traduisent une volonté politique des collectivités en faveur des élèves les plus défavorisés et de plus de mixité… en attendant peut-être que l’État s’empare de cet enjeu de mixité à l’échelle nationale ?

Un contexte politique : entre urgence et ambition

L’ambition éducative du maire de Marseille Benoit Payan et de sa majorité plurielle du Printemps Marseillais n’est pas un secret. Les polémiques sur l’état des écoles marseillaises ont fait la Une lors du dernier mandat de Jean-Claude Gaudin (UMP) et ont dépassé l’échelle locale avec le plan « Marseille en grand » du président Emmanuel Macron. Le chantier du plan École à 1,5 milliard d’euros est vaste : reconstruction et rénovation de 188 écoles, plan de rénovation pour les 470 écoles publiques et réforme de leur fonctionnement. Si la nouvelle majorité de Marseille doit répondre aux urgences, elle a affiché d’emblée une ambition pour les enfants marseillais.

Des kits de fournitures pour tous les élèves

En 2023, Marseille a introduit une nouvelle mesure plébiscitée par les familles dans le contexte économique d’inflation en livrant des kits de fournitures scolaires dans ses écoles. Ce sont 6,3 millions d’euros (soit une hausse de 65 % par rapport à 2020) consacrés au financement de matériel pédagogique des écoles et des kits de rentrée pour les élèves. A la prochaine rentrée, les 76 000 élèves des écoles publiques comme les 14 000 élèves scolarisés dans une école privée recevront un kit de fourniture. Pour rappel, les communes ont l’obligation légale de financer les établissements privés du premier degré sous contrat : un euro versé à l’école publique doit également l’être pour les écoles privées sous contrat (selon un pro rata lié au nombre d’élèves). Pierre Huguet, l’adjoint au Maire en charge de l’Éducation, précise qu’avec le kit, « il n’est pas question de payer deux fois ». Or, les derniers rapports de la Cour des comptes comme des parlementaires sur le financement de l’école privée soulignent l’absence de contrôle de l’argent public. Le kit de fourniture de rentrée accordé aux écoliers des établissements privés sous contrat de Marseille, permet de permet de s’assurer que l’effort financier de la Ville serve l’objectif municipal. Cette mesure a donc un double effet bénéfique : une aide matérielle directe aux familles et un moyen de contrôler une partie du financement public à l’école privée. Pour rappel, l’absence de contrôle, notamment des établissements privés marseillais est aujourd’hui un point noir alors que le forfait communal ou d’externat (pour les collèges et lycées) relève d’une obligation légale. Concrètement, avec cette mesure, les dépenses correspondant au kit de fournitures des écoles publiques ne seront pas retenues pour évaluer le forfait communal.

Une progressivité des moyens pour combler les lacunes de l’éducation prioritaire

La Ville de Marseille, comme les autres communes, accorde chaque année un budget aux écoles publiques pour que les enseignants achètent le matériel pédagogique nécessaire. Or depuis les années 2000, le barème d’attribution n’avait pas évolué et le mode de calcul distinguait comme partout ailleurs, les écoles des écoles en éducation prioritaire. Mais, en 20 ans la réalité sociologique d’établissements scolaires change. Et depuis la création de l’IPS en 2016, il est possible d’appuyer une observation sur des données fiables.  Par exemple, l’école Calanque de Sormiou située dans le 9e arrondissement présente un IPS faible de 72 mais n’est pas dans un réseau d’éducation prioritaire ; elle répond parfaitement à la définition des écoles dites orphelines.

C’est donc pour corriger cet état de fait que lors du dernier Conseil municipal en avril, la Ville a adopté nouveau un mode de calcul permettant de donner plus à ceux qui en ont le plus besoin, sans pour autant faire diminuer les moyens aux établissements scolaires. L’objectif affirmé est de mieux prendre en compte les conditions sociales réelles d’apprentissage avec un objectif accru de justice sociale et d’égalité, facteur de réussite scolaire.

Plus d’argent pour les élèves défavorisés et un bonus pour la mixité sociale

Ce nouveau calcul refond la « dotation élève» sur la logique de référence à l’indice de position sociale (IPS) et à l’écart-type. Les nouvelles modalités de financement répartissent les écoles en trois groupes selon l’IPS : inférieur à 95, entre 95 et 115 et supérieur à 115. La dotation va de 38 à 46 euros/élève. Pour les deux groupes aux IPS supérieur à 95, un bonus mixité est accordé.  Plus de 50 % des écoles sont dans le groupe le plus doté, tandis qu’environ 1/3 des deux autres groupes bénéficient d’un bonus mixité. Avec cette nouvelle règle de calcul, sur 470 écoles, 422 voient leur budget augmenter de 5 à plus de 20 %. Une cinquantaine d’écoles orphelines voient leur moyens alignés sur ceux de l’éducation prioritaire.

L’IPS permet en outre de déterminer la mixité sociale d’un établissement scolaire grâce à l’écart type. Ces données permettent de disposer d’une cartographie plus précise des écoles et du niveau social des élèves scolarisés en leur sein, éclairant davantage les inégalités sociales et la mixité scolaire entre et au sein des établissements marseillais. Cette dernière est faible lorsque l’écart-type est inférieur à 20 points et forte lorsque que celui-ci est supérieur à 35 points. Le site du gouvernement explique que « L’indice d’hétérogénéité sociale d’un établissement correspond à l’écart-type (ET) de l’indice de position sociale (IPS) de ses élèves. Plus il est élevé, plus le profil social des élèves est diversifié». Marseille a décidé d’accorder une bonification aux établissements scolaires dotés d’IPS moyen et élevé, qui accueillent une mixité sociale dans leurs effectifs, caractérisée par un écart-type (ET) supérieur à 35.

Kit et dotation progressive : des mesures complémentaires

L’adjoint au maire en charge du dossier, Pierre Huguet présente le kit de rentrée et la dotation progressive comme « deux mesures complémentaires ». Il évoque la « tentation politique » « entre une communication accessible » et «la complexité technique » de politiques publiques parfois difficiles à appréhender. En effet, le kit de rentrée permet de saisir une ambition politique, en la rendant concrète à toutes et tous, tout en menant une politique publique qui repose sur un degré de technicité élevé et sur les résultats de la recherche. L’adjoint résume avec ces mots : « Le kit est la partie visible de l’iceberg d’une politique publique plus en profondeur. Il répond au besoin immédiat de familles qui connaissent des difficultés ; il montre aussi une ambition politique pour la réussite éducative. La dotation progressive est une réponse parmi d’autres à des besoins structurels. » Voilà une politique publique et une volonté politique qui fait œuvre de pédagogie utile pour la vie démocratique.

Complémentarité également dans le cadre de la décentralisation

Le travail de la recherche, les données ministérielles sur l’IPS, désormais publiques,  affinent la connaissance sociologique d’un établissement et peuvent influer sur la politique publique menée. Les collectivités, à l’instar de la capitale phocéenne, peuvent s’en emparer pour pallier les lacunes de la carte de l’éducation prioritaire, et décider d’augmenter les subventions avec l’objectif de mieux, d’ aider les plus fragiles et de valoriser la mixité sociale d’un établissement.

Ce travail inédit mené à Marseille en étroite collaboration avec la direction académique des Bouches-du-Rhône révèle la part que les collectivités peuvent prendre dans le champ éducatif car elles en ont bien la compétence partagée avec l’État. Plus souples, plus proches des réalités sociales de terrain, elles peuvent mener des politiques publiques adaptées à leur contexte si telle est leur volonté. La deuxième ville de France présente une sociologie particulière avec près de la moitié des enfants scolarisés en éducation prioritaire. L’équipe municipale de Marseille, en s’appropriant un outil élaboré par le ministère de l’Éducation nationale, montre qu’il est possible d’allier légitimités nationale et locale dans le cadre de la décentralisation. Pour l’élu Pierre Huguet, c’est un moyen pour la gauche, à la tête de nombreux exécutifs municipaux, de porter localement son projet pour l’école et l’éducation.

La prochaine question sera celle du rôle de ces données dans la politique nationale et notamment dans la nouvelle carte de l’enseignement prioritaire ou leur rôle en faveur de la mixité. Pour le moment, le gouvernement continue de nourrir le mille-feuille administratif avec les dispositifs et labels : REP, CLA, Cités éducatives, QPV…

Djéhanne Gani

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