Que dit – et ne dit pas – l’Enseignement catholique, (sans) sous contrat ? À l’occasion de sa première conférence de presse, son nouveau Secrétaire général , Guillaume Prévost, a (d)étonné par ses prises de positions. Celui qui conduit plus de 2 millions d’élèves a livré un discours dense, marqué par la volonté de défendre une certaine vision de l’éducation chrétienne – mais aussi marqué par des silences remarqués. Le mot « Bétharram » n’a jamais été prononcé, ni les « violences sexuelles ». Attaché à la liberté d’enseignement, à la relation éducative, l’enseignement catholique, subventionné à 75% d’argent public, revendique ses spécificités, la confiance des familles… et une forme d’indépendance vis-à-vis du ministère. A en oublier son contrat avec l’Etat ?
L’omission majeure : ce que dit – et ne dit pas – l’Enseignement catholique
« Ce qui s’est passé a profondément trahi le projet éducatif de l’enseignement catholique », reconnaît Guillaume Prévost. Sans jamais nommer précisément les faits, ni les qualifier de violences sexuelles, il évoque des « ce qui s’est passé », des « abus », une « trahison » appelant à « l’introspection »et à une « responsabilité accrue ». Mais pas un mot sur Bétharram, ni sur les mécanismes d’omerta ou l’absence de contrôle de l’Etat reprochés à l’institution. Et d’évoquer « la succession des violences, suicides de directrices de l’école, agressions entre élèves, agressions des élèves sur les enseignants, et les drames, les abus qui ont fait l’actualité l’année dernière ». C’est alors que résonnent les témoignages des violences systémiques, de la fabrique du silence et le cri lancé par Constance Bernard « je vous en supplie, ne laissez pas le sujet s’éteindre ».
Betharram : lever l’omerta, le #me too de l’enseignement catholique
Cette omission qui interroge : comment prétendre affronter une crise sans en nommer les causes systémiques ? « Ce qui s’est passé doit nous amener à une introspection, à une réaction », insiste-t-il, sans évoquer la nécessité de contrôle et du travail de prévention.
Et l’application Fait établissement ? « Tout ne remontera pas » répond-il. Le Secrétaire général promet introspection et audits, notamment dans les internats, avec l’aide d’un cabinet extérieur. Mais sans diagnostic clair sur les violences systémiques, ces démarches risquent de rester à la surface.
L’enseignement catholique se veut un modèle éducatif alternatif. Mais son refus de nommer les violences sexuelles et son attachement à une autonomie par rapport au ministère parfois revendiquée au détriment du cadre légal posent des questions centrales : subventionné à 75% d’argent public ne doit-il pas rendre des comptes tout comme garantir des contrôles par l’État ?
Au nom de la liberté de l’enseignement catholique
Le cœur du discours repose sur une réaffirmation forte de la « confiance » accordée par les familles, les enseignants, et même les pouvoirs publics. Pour Guillaume Prévost, c’est cette confiance qui constitue « la singularité de l’enseignement catholique » et justifie une large autonomie : « parce que la qualité vaut mieux que la conformité ».
Mais cette défense de la liberté éducative s’accompagne d’une vision qui place l’Enseignement catholique au-dessus des circulaires de l’Éducation nationale, parfois même en opposition aux « normes ». « On n’est pas défenseur de normes. On est défenseur de la personne. Libre, avec une valeur infinie », affirme-t-il. Plus loin : « À chaque fois que la norme recule et que la personne progresse, c’est toute l’humanité qui progresse ».
Une position assumée : « Tout ce qui n’est pas interdit est autorisé. C’est ça la liberté scolaire. » Et une critique à peine voilée de l’État : « Les circulaires, ce sont des textes d’organisation de l’État […] Ce n’est pas la rue de Grenelle qui dicte nos pratiques ». Il dénonce des inspecteurs qui comprennent mal « les spécificités de [leur] projet éducatif ».
Le ministère, sollicité sur ce point précise que les « circulaires ministérielles relatives à la mise en œuvre des programmes officiels s’appliquent à l’ensemble des établissements d’enseignement privés sous contrat », et que les inspections portent sur « le volet pédagogique, le respect des obligations légales, réglementaires et contractuelles, parmi lesquelles le respect des valeurs de la République dans les enseignements et le respect des programmes de l’enseignement public s’agissant tant de leur contenu que du volume horaire qui leur est dédié. Si des manquements sont constatés lors du contrôle, l’établissement est mis en demeure d’y remédier. En cas de manquements persistants, le contrat peut être résilié ».
Confiance, liberté, au-dessus des lois ?
Sur les sujets sensibles, le discours se fait plus tranché. Ainsi, sur les questions de transidentité ou d’éducation à la sexualité, la ligne est claire : l’enseignement catholique appliquera la loi : « Si vous voulez qu’un texte s’applique à nos établissements, il faut le faire passer par le Parlement. »
Éducation affective et sexuelle : un engagement
Guillaume Prévost promet que dans cinq ans, l’éducation affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) sera « mise en œuvre ». Mais il en souligne immédiatement les limites actuelles : pas d’enseignants formés, pas d’heures dédiées, pas de moyens ni formation : « Parce qu’il n’y a pas un prof des EVARS. […] Il faut le mettre en place. Et ça se met en place. »
Il a également affirmé la volonté d’un enseignement par les professeurs, plutôt que de faire appel à des intervenants extérieurs, précisant toutefois que « si un intervenant ne respecte pas le cadre réglementaire et le projet d’établissement, il ne reviendra pas. » Interpellé sur l’association controversée Cycloshow, au slogan « Mon corps, un trésor pour la vie », il la qualifie de « formidable ».
Une zone d’ombre perdure : la spécificité du projet éducatif catholique évoquée à plusieurs reprises est-elle au-dessus d’un programme qui traite des questions d’avortement, d’identité de genre ?
Liberté oui, mais pour qui ?
« Si vous imposez des normes de l’extérieur, vous créez des conditions pour que ça ne marche pas. Il faut imposer un minimum de normes de l’extérieur » lance le secrétaire général de l’enseignement catholique. Guillaume Prévost affirme vouloir « l’ouverture aux pauvres » et reconnaît que « la liberté d’enseignement est un privilège réservé aux riches. Et ça, c’est scandaleux ». Mais comment garantir l’accès pour tous sans normes, quotas, lois ni encadrement ? L’appel à un plus grand financement public ne suffit pas : « Il n’y a pas de détournement d’argent public, puisqu’il n’y a pas assez d’argent public », plaide l’enseignement catholique.
Pour le secrétaire général du Secrétariat Général de l’Enseignement Catholique (SGEC), l’Enseignement Catholique fait partie intégrante de l’offre éducative. Selon lui, il se donne les moyens d’aller vers les fragilités et « un projet éducatif ouvert à tous ». Il a également annoncé « gagner des parts de marché dans une classe d’âge », marché certainement des milieux privilégiés puisque l’enseignement privé sous contrat scolarise majoritairement des enfants issus de familles favorisées.
« Vivifier le débat éducatif »
Le Secrétaire général de l’enseignement catholique veut replacer l’enseignement catholique dans le débat éducatif national : « Il faut qu’on se dote des moyens pour pleinement participer au débat éducatif […] et être un outil pour vivifier le débat éducatif dans notre pays, qui en a bien besoin. »
Une ambition forte, fondée sur un positionnement clair : liberté, autonomie, refus des normes extérieures, jusqu’à revendiquer une forme d’exception. Sur une vidéo qui circule au sujet d’une prière en cours ? « Il n’y a pas de devoirs de neutralité des enseignants chez nous » explique-t-il. Et de conclure, sur un ton provocateur : « Vous n’allez pas dans un restaurant chinois pour commander des pizzas. »
Djéhanne Gani