Gaelle Paty: Plaidoyer pour la joie, malgré l’horreur : « Il faut remettre de la joie » 

« Samuel ne mourra jamais une deuxième fois » déclare sa sœur Gaëlle Paty, très calmement. Cinq ans après l’assassinat de Samuel Paty, son nom reste gravé dans la mémoire collective de l’École. Pour beaucoup d’enseignants, la douleur reste vive. Le livre-hommage Samuel Paty, un procès pour l’avenir, qui vient d’être publié aux éditions Flammarion par sa sœur Gaëlle, leur est dédié, comme à toutes les victimes de l’attentat terroriste. Elle compare l’attentat à une « bombe à fragmentation », aux conséquences durables et multiples. 

« Ce livre se projette dans l’avenir pour envisager les « enseignements » de cet atroce événement», a-t-elle expliqué lors des Rendez-vous de l’Histoire à Blois, en présentant ce livre-hommage empreint de dignité, de pédagogie et de luciditéEt malgré tout, malgré l’horreur : « Retrouver de la joie. »

Une parole apaisée, de paix

Gaëlle Paty, regard doux et voix posée, s’adresse à toute la société, mais avant tout à la communauté éducative. « Je vais continuer à soutenir les hommes et femmes qui font vivre Samuel dans les classes de France. Samuel ne mourra jamais une deuxième fois, j’en fais la promesse. » Pour elle, il s’agit de comprendre, sans céder à la récupération, et de faire vivre l’héritage et l’esprit de Samuel Paty.

Gaëlle Paty dénonce avec calme mais fermeté les dangers des réseaux sociaux : « Samuel, s’il est mort, c’est aussi parce qu’on a dit n’importe quoi. »

Aux côtés de Sophie Igounet, co-autrice, spécialiste du complotisme et de l’extrême droite, elle éclaire les mécanismes de l’engrenage fatal : désinformation, manipulation, rôle central des réseaux sociaux, confusion entre réel et virtuel. elle décrit dans le livre à 3 voix, une « toile d araignée qui n a cessé de s’agrandir, de se solidifier à l’aide de toutes sortes de ramifications, dont celles essentielle des réseaux sociaux »

Le livre, illustré par les dessins de Guy Le Besnerais pris durant les 7 semaines du procès, retrace les témoignages bouleversants d’enseignants, de la famille, d’experts et des accusés.

Un procès pour comprendre

« J’y étais aussi pour comprendre les gens, comment ces 8 accusés en sont arrivés là, comment ils s’étaient retrouvés impliqués de près ou de loin (…), comment ils avaient pu en arriver à cet attentat », explique Gaëlle Paty. « Comprendre, ce n’est pas pardonner. Comprendre, ça permet de donner un sens à ce qu’il s’est passéComprendre les faits, les personnes, permet de regarder la réalité, de rendre réels les faits, de les accepter » poursuit-elle.

Le procès a mis en lumière les responsabilités multiples, les fractures sociales et le rôle destructeur des réseaux sociaux dans la propagation du mensonge. Le mensonge de l’adolescente est devenu une rumeur virale, amplifiée par une propagande islamiste.

« L’attentat contre Samuel Paty n’est pas qu’un assassinat. C’est un cataclysme social, politique, humain, institutionnel. C’est une fracture », écrit Sophie Igounet dans le livre « Samuel Paty, un procès pour l’avenir ».

Parmi les huit accusés, un seul a exprimé de réels regrets : « Je sais que mes excuses ne ramèneront pas M. Paty, mais je veux expliquer ma radicalisation, donner des réponses aux victimes » a dit l’un des hommes durant le procès. Lors de la rencontre, Gaëlle Paty a tenu à adresser ses pensées à ce jeune homme, le seul à avoir plaidé coupable.

Pour que l’école ne soit plus celle des minutes de silence

L’avocate Virginie Le Roy, représentant la famille, a plaidé pour un verdict qui redonne espoir à l’École. Elle appelle à « sauver l’école, sortir les professeurs de leur état de sidération, les sortir de la peur qui entoure désormais les enseignements, (…) les sortir de ce deuil qui ne passe pas. Il faut, coûte que coûte, faire que l’école ne soit plus celle des minutes de silence et des attentats ». 

Une minute de silence ? et pourquoi ne pas organiser une demi-journée banalisée chaque année lance Gaëlle Paty  : « Chaque prof fait ce qu’il peut avec ce qu’il a. Beaucoup ne sont pas faites. Je déplore ces minutes de silence improvisées par le ministère, et non encadrées. » Pour elle, un temps plus long serait pertinent « pour parler de la justice, pour parler des réseaux sociaux pour des associations, des intervenants extérieurs, faire des projets un peu symboliques autour de de ces attentats qui permettent une cohésion dans les établissements entre professeurs, personnels de direction, personnel éducatif, élèves ».

Le plaidoyer de Gaelle Paty est un plaidoyer pour la joie, malgré l’horreur : « Il faut remettre de la joie. Oui, nos deux professeurs sont morts, mais on éduque des jeunes. Si on ne met pas de la joie, ils ne retiendront rien, ou rejetteront tout. » Pour elle, l’angle de la jeunesse et de la joie sont les axes importants pour ne pas « être repris par des gens que mon frère n’aurait pas accepté ».

« Si ce livre existe, c’est pour les profs »

Interrogée sur la plainte en cours visant l’État, Gaëlle Paty conserve le même ton lucide et apaisé, dans une démarche calme et déterminée, tournée vers la prévention: « Je voudrais mieux comprendre les choix qui ont été faits, comprendre à quel moment on aurait pu, on au sens de la collectivité, de l’État, mieux faire pour protéger une personne qui se retrouverait dans la même situation. » Elle évoque des failles, et une volonté non pas de désigner de nouveaux coupables, mais de pousser l’institution à s’interroger, à changer certaines pratiques. Ce livre « Samuel Paty, un procès pour l’avenir » se veut un outil de transmission humaniste, pour comprendre, expliquer, réparer.

Un livre pour l’après : humanisme, nuance et envie de vivre ensemble

Pour la sœur cadette de Samuel Paty, « faire vivre l’héritage de Samuel Paty, c’est défendre la liberté, la liberté d’expression sans se faire récupérer.» « J’aimerais qu’on retrouve de la nuance, de la bienveillance, l’envie de vivre ensemble. » dit Gaëlle Paty. « Il n’y a pas de retour en arrière », affirme Gaëlle Paty, mais il faut « travailler pour l’après », « pouvoir enfin avancer », grâce à ce que le procès a mis en lumière.

Pour elle, la lutte contre l’ignorance et le chaos informationnel des réseaux sociaux est un axe essentiel : « Samuel, s’il est mort, c’est aussi parce qu’on a dit n’importe quoi, parce qu’on a colporté des mensonges sur les réseaux sociaux. (…) La seule leçon qu’il faudrait qu’on tire de tout ça, c’est d’arrêter de dire n’importe quoi, de vérifier les faits, de diffuser des faits vérifiés. »

Rendre hommage à Samuel Paty, c’est honorer son exigence intellectuelle : « Lui rendre hommage, c’est lui rendre sa rigueur intellectuelle, celle qu’il avait, qu’il prônait, et qu’il essayait de transmettre à ses élèves. »

Faire vivre l’héritage de Samuel Paty

« Faire réfléchir les élèves pour qu’ils deviennent des citoyens éclairés, c’était toute la mission de Samuel » explique Gaëlle Paty.  Ce livre est un outil pédagogique, un plaidoyer pour la liberté, la rigueur intellectuelle, l’esprit critique. Il vise à donner des ressources pour lutter contre l’extrémisme, la radicalisation et la violence.

« On a senti une peur, une pression depuis les attentats », confie une professeure. Ce drame a laissé une trace indélébile, dans la société, dans le métier. Sophie Igounet n’a cessé de dire son soutien et amour aux professeurs: « On ne touche pas à un professeur. On ne touche pas à ce qui fait notre socle : les valeurs de la République et de la laïcité. » a-t-elle lancé avec force. Elle et Guy Le Besnerais rencontrent de nombreux professeurs autour de leur livre « crayon noir : Samuel Paty, histoire d’un prof ». « Si vous pouvez, si vous en avez la force, n’abandonnez pas. Les élèves ont besoin des profs. » Un cri d’amour pour le métier enseignant, ce jour d’hommage comme chaque jour.

Djéhanne Gani

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