Fabien Toulmé : raconter l’inclusion scolaire avec la BD ULIS

Avec ULIS, Fabien Toulmé poursuit son exploration du réel à travers la bande dessinée. Après L’Odyssée d’Hakim, récit d’un exil, il s’intéresse ici à une autre forme d’invisibilité : celle de l’inclusion scolaire. A travers une BD sensible, juste, nourrie d’expérience personnelle, d’observation et de témoignages, l’auteur rend notamment compte des difficultés du métier d’AESH, décrit en ces termes par l’enseignante en s’adressant à l’un deux : « Tu es une béquille, pas une prothèse. Tu n’es pas leur prof, pas leur père, pas leur ami non plus. Il faut arriver à doser la douceur et la vérité. »

Un récit né d’une histoire intime

Le projet naît de l’expérience personnelle de l’auteur. Fabien Toulmé est père d’une jeune fille qui a été scolarisée en ULIS (Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire), et mari d’une AESH (Accompagnante d’Élève en Situation de Handicap). De cette « double connexion », il tire un regard singulier, mêlant observation du quotidien et compréhension de l’inclusion. « Par elle, je vois les difficultés systémiques. Et l’être humain, c’est celui qui peut compenser quand il en a l’envie et la capacité », explique-t-il au Café pédagogique.

« Être investi et passionné, ça ne suffit pas » poursuit-il. Le choix de raconter le parcours d’un AESH n’est pas anodin. Fabien Toulmé sait à quel point ce métier est essentiel, et à quel point il est malmené. Il évoque la charge émotionnelle, l’absence de formation la précarité, le salaire insuffisant : « Une AESH ne peut pas vivre seul avec ce qu’elle gagne».

Mais il montre aussi la tendresse, les gestes quotidiens, les micro-victoires qui donnent du sens avec pudeur, humour et justesse. Celles qui font que, malgré tout, certains restent. Fabien Toulmé signe ici un hommage à celles et ceux qui rendent l’inclusion possible.

Une immersion dans l’école inclusive : « Y a pas un élève qui ressemble à un autre » 

Face à la frustration, parfois la colère, au décalage entre la loi et la réalité, Fabien Toulmé a ressenti le besoin d’agir à sa manière : raconter une histoire. Il résume avec pragmatisme la situation pour les parents comme pour les personnels : faire à l’échelle de ses moyens et dans les limites imposées : « Il y a le principe de l’école inclusive, et une application pas vraiment au niveau. On fait comme on peut, avec ce qu’on a. »

« Je ne prends pas parti, je raconte une histoire », déclare Fabien Toulmé. Il ne se veut ni militant, ni porte-parole. Il revendique davantage une position de témoin, de narrateur du réel : « C’est un peu comme si je posais ma caméra dans une salle ULIS. »

On y voit des personnels très engagés et « pas un élève qui ressemble à une autre » comme l’explique à la classe l’enseignante. Le personnage s’adresse aux élèves : « en soi, handicapé, c’est pas une insulte. C’est la façon dont on le dit qui peut être méchante. » Plus loin, elle poursuit : « mais c’est vrai que dire de quelqu’un qu’il est handicapé, ça peut blesser parce que ça le ramène uniquement à ça. Quand on a un handicap, on n’est pas que ça… »

Un métier difficile : « On ne fait pas des métiers faciles »

Dans ULIS, Ivan, ancien ingénieur en reconversion, devient AESH presque par hasard. Il découvre la réalité de l’inclusion scolaire : diversité des profils, complexité des besoins, fatigue des équipes, mais aussi engagement et solidarité.

« Tu es une béquille, pas une prothèse. Tu n’es pas leur prof, pas leur père, pas leur ami non plus. Il faut arriver à doser la douceur et la vérité » lui dit Madame Tramont, enseignante ULIS expérimentée pour définir son difficile métier. Ivan tente de trouver sa place auprès de Matisse, un enfant mutique. Le lien se construit lentement, dans l’incertitude et l’attention.  Au fil des pages, Fabien Toulmé montre toute la subtilité du métier : accompagner sans infantiliser, soutenir sans faire à la place, ne pas devenir indispensable.

L’auteur a multiplié les échanges, les observations en classe, écoute sa compagne, les récits quotidiens du terrain, « un super terreau humain, plein d’histoire et d’émotion » dit-il. Il découvre un monde riche, dur, humain, discret qu’il restitue dans toute sa complexité. Dès le départ, son intention est claire : se concentrer sur la relation entre un AESH et un élève. Il nous dit que « très tôt, [il a ] eu l’idée de [s]e focaliser sur la relation AESH-enfant. Deux personnes qui ne se sont pas choisies, mais qui vont faire un bout de chemin ensemble. »

Une évolution partagée, entre réparation et reconnaissance

Yvan, abîmé par un burn-out, se reconstruit au fil de cette odyssée. Toulmé met en lumière la fragilité mais aussi la force des enfants comme des adultes qui les accompagnent. Matisse, élève replié sur lui-même, finit par dire à Ivan : « Moi aussi, j’ai envie de t’aider. » Le parallèle entre l’évolution d’Ivan et celle de Matisse renforce l’émotion du récit : chacun avance à son rythme et trouve du sens dans ce qu’il vit. Et pourtant, malgré les doutes, les moments de découragement, il y a aussi des instants de grâce, comme cette évolution de Matisse que l’on voit peu à peu s’ouvrir et progresser grâce à la relation qu’il tisse avec Ivan.

« On ne fait pas des métiers faciles »

Madame Tramont confie : « On ne fait pas des métiers faciles. Et peut-être le tien est encore plus dur que le mien. » Elle reconnaît « Y a plein de fois où j’ai pensé abandonner. Parce que c’est souvent beaucoup de tristesse, de déceptions. Et puis il y a des moments comme aujourd’hui, des petites victoires qui redonnent espoir. »

« Comme la plupart des AESH, je ne vais pas faire de vieux os dans ce boulot. Trop précaire, pas assez considéré. »

Mais la précarité reste un mur : « Comme la plupart des AESH, je vais pas faire de vieux os dans ce boulot. Trop précaire, pas assez considéré. » La première difficulté est bien celle-là : un statut fragile, une faible rémunération, un temps partiel souvent subi.

Un métier tenu par l’engagement humain

« Ce que je ressens dans le parcours de ma fille, c’est que tout cela fonctionne quand il y a des gens bien dans leur tête, bien à leur place, qui font ça avec amour. » Cette phrase, glissée par Fabien Toulmé lors de l’entretien, avec pudeur mais force, dit tout de ce métier : un travail invisible, parfois ingrat, qui ne tient que grâce à celles et ceux qui accompagnent les élèves. La bande dessinée montre que rien ne fonctionne sans engagement humain, et que la relation se tisse avec du temps.

L’auteur et dessinateur montre aussi la solidarité d’équipe pédagogique, la reconnaissance des familles, les sourires, les rires, les séjours à la mer, les progrès. En creux, on perçoit les histoires plus sombres : le regard et l’épuisement d’une mère, un enfant battu, une autre hospitalisée, la détresse et la douleur.

Un regard critique, mais juste, sur l’école inclusive

Toulmé dresse un constat lucide : l’inclusion repose sur des individus qui pallient un système défaillant. Il dénonce l’écart entre les promesses et les moyens. Dans la postface, il écrit : « Les belles promesses de l’école inclusive n’étaient pas en adéquation avec la politique mise en place. Un peu comme si un commercial m’avait survendu un produit ‘top qualité’, alors qu’il était fait de bouts de ficelle. »

A la question, « alors que faire ? », il répond avec humilité avoir lu des ouvrages, observé et n’avoir pas de solution miracle : « Ce que je dis n’est pas révolutionnaire : il faut plus de budget, donc plus de gens, plus de formation. Mais ce n’est pas possible, apparemment. »

Vingt ans après la loi du 11 février 2005, 500 000 enfants sont scolarisés en situation de handicap. Les AESH sont là pour les accompagner, les classes ULIS existent… mais l’équilibre fragile ne tient bien souvent qu’à bout de bras. Derrière ces acronymes ULIS, AESH se cachent des enfants et des adultes. Fabien Toulmé leur donne un visage, une voix, une place et cette BD qu’il dédie « aux enfants extraordinaires, à leurs parents et aux professionnels passionnés et investis à leurs côtés ».

Djéhanne Gani

Fabien Toulmé : ULIS. Delcourt, 272 pages, septembre 2025.

Partagez cet article