Dans cette tribune publiée dans Le Café pédagogique, le collectif Langevin Wallon dénonce les mesures de « bon sens » annoncées par le gouvernement. Des mesures « qui traduisent une vision idéologique de l’école qui réduit l’ambition pour les élèves de milieux populaires » écrit-il. « Nous assistons depuis 2017 à une attaque en règle contre toutes les avancées que l’école a cahin-caha mises en œuvre pour devenir l’école pour tous, et pas seulement pour quelques-uns ». « Ce n’est pas : « la pédagogie peut renverser la sociologie » – un slogan qui ne veut rien dire – ni le « port de la tenue unique » qui « efface les inégalités entre les familles », (…) mais c’est bien la pédagogie assise sur la cumulativité des résultats de la science qui peut contribuer à limiter les déterminismes sociaux, à condition d’inscrire cette volonté dans le temps long ». Un texte fort qui appelle à Résister.
Mettre fin au collège unique, combattre l’hétérogénéité en organisant des groupes de niveaux, rétablir l’uniforme, généraliser les manuels labellisés par le ministère, défaire les cycles, rétablir les redoublements, revaloriser l’évaluation par les notes… Toutes ces mesures annoncées, déjà expérimentées ou en projets, pour « guérir un système » et soulager des professionnels en souffrance, sont volontiers qualifiées de « pragmatiques » ou « frappées au coin du bon sens » par les responsables politiques et les prétendus experts et autres commentateurs qui s’expriment volontiers dans les médias et font partie de ceux qui ont sans doute vécu sans problème une scolarité heureuse, ou pour le moins réussie, étant issus de ces milieux sociaux pour lesquels l’École secondaire a historiquement été conçue.
Pour en finir avec le mythe du : « c’était mieux avant ».
« Historique » est bien le mot approprié puisqu’on aura compris qu’il s’agit de revenir à l’école d’ « avant » réelle ou fantasmée. L’école d’avant, réelle, qui ne permettait que rarement aux enfants des milieux populaires d’accéder au lycée, qui n’accueillait pas ensemble les élèves des différents milieux sociaux, l’école d’avant qui perpétuait une société où l’insuffisante maîtrise de la lecture, de l’écriture, ou du calcul, et plus largement de la culture, si elle n’était pas encore synonyme de relégation et d’exclusion, sonnait tout de même le glas d’une quelconque ascension sociale. L’école d’avant fantasmée en ce qu’elle aurait reposé sur une autorité incontestée de ses professeurs, sur une discipline et des contenus jamais remis en question par les élèves.
Si l’on glorifie le retour à cette école-là, c’est en fait pour en finir avec l’ambition de la réussite pour tous, avec la formation de citoyens éclairés et émancipés et pour rétablir soumission et entre soi social, pour en finir avec les « efforts » (le mot est un aveu) de mixité sociale. Un repli que certains dans les milieux les plus favorisés économiquement et/ou culturellement ont déjà bien concrétisé en se réfugiant dans les écoles du secteur privé, le plus souvent catholique, même s’ils n’en partagent pas toujours les dogmes religieux ; mais fuir le « commun », le « populaire », le « vulgaire » mérite sans doute de sacrifier quelques convictions. Les liens étroits de nos dirigeants et des ministres de l’éducation nationale avec l’école privée ne sont pas nouveaux, qu’ils y aient été eux-mêmes scolarisés ou qu’ils y scolarisent leurs enfants. Comme l’a dit récemment la nouvelle ministre de l’éducation nationale à propos de ses enfants scolarisés dans le privé: « Et depuis de manière continue nous nous assurons que nos enfants sont non seulement bien formés avec de l’exigence dans la maîtrise des savoirs fondamentaux et qu’ils sont heureux, qu’ils sont épanouis, qu’ils ont des amis, qu’ils sont bien, qu’ils se sentent en sécurité, en confiance». Ceux-là mêmes qui sont prompts à dénoncer le communautarisme, le pratiquent, dans le privé, entre eux, dans un monde aseptisé à leur image, c’est-à-dire dans le monde de classes dessiné depuis le XIXème siècle par la bourgeoisie économique d’abord, culturelle ensuite, un monde qu’ils prolongent à l’école. Pour aller plus loin dans l’analyse de cette question de « l’avant » on trouvera profit à lire l’ouvrage de Claude Lelièvre, L’école d’aujourd’hui à la lumière de l’histoire (Paris, Odile Jacob, 2021).
Pour en finir avec le mythe du « bon sens ».
Les mesures annoncées ou déjà là (réduction des enseignements généraux en lycée professionnel par exemple, promotion déraisonnable de la méthode syllabique pour la lecture et de la « fluence » en primaire) ne sont pas des mesures de bon sens même si nos gouvernants n’ont de cesse de prononcer ces mots pour faire accroire que ceux qui ne pensent pas comme eux sont « insensés ». Elles traduisent une vision idéologique de l’école qui réduit l’ambition pour les élèves de milieux populaires. Nous assistons depuis 2017 à une attaque en règle contre toutes les avancées que l’école a cahin-caha mises en œuvre pour devenir l’école pour tous, et pas seulement pour quelques-uns. Cette évolution lente et laborieuse de l’après-guerre, s’est presque toujours heurtée à un conservatisme qui avait peur de la démocratisation, craignant le « nivellement par le bas », « la baisse du niveau », avec la conviction qu’il n’y a rien à attendre de bon, ni à apprendre, de la promiscuité avec les milieux populaires. Alors face aux résistances des plus privilégiés, de ceux que l’école privilégie, le collège dit unique n’est pas encore parvenu à devenir cette « école moyenne » qui garantirait un socle commun de connaissances pour tous, garantirait une scolarisation ensemble des générations qui n’auraient pas peur de leurs différences sociales mais apprendraient à les connaître, à les apprivoiser et à s’en enrichir. Un collège, antichambre du lycée général, a été maintenu, source de souffrances pour les élèves les plus fragiles et avec eux, pour les professeurs que l’on n’a pas cherché à former à leur accueil.
Pour en finir avec la prétention à l’« agilité», au « pragmatisme ».
« Agilité » est le dernier concept à la mode chez les consultants qui conseillent le pouvoir. Il s’agit de pouvoir passer d’une conception à l’autre avec facilité. Il s’agit surtout de faire preuve de la capacité essentielle à s’ajuster en permanence à l’opinion. Tout le contraire d’une politique qui serait construite sur la base d’études sérieuses et de confrontations de points de vue avec les professionnels en charge de l’activité d’enseignement. Cette notion s’inscrit dans un discours bien installé relatif au « pragmatisme » que ces gouvernants opposent à l’idéologie, comme si derrière les idées défendues au nom du pragmatisme, il n’y avait pas d’idéologie : n’y a-t-il pas d’idéologie derrière les choix réactionnaires du redoublement et des groupes de niveaux ? N’y a-t-il pas d’idéologie derrière le refus de développer la mixité sociale pour « éviter la guerre scolaire » ? N’y a-t-il pas d’idéologie dans les cours d’empathie ? Les ministres aiment cette « agilité » qui leur permet de faire valoir leurs marottes : Jean-Michel Blanquer avait repris les priorités de l’école « lire, écrire, compter » et y avait ajouté « respecter autrui ». Gabriel Attal n’a pas eu le temps à notre connaissance de donner une autre priorité. En revanche dès le premier jour la nouvelle ministre a jeté aux orties « respecter autrui » et a préconisé « bouger » comme quatrième priorité, avant que le président lui-même ne veuille faire de la pratique théâtrale un passage obligé. Voilà un bel exemple d’agilité ou d’un de ses synonymes, on vous laisse choisir celui qui convient le mieux (prestesse, aisance, légèreté, vélocité, souplesse, virtuosité, dextérité, promptitude, adresse, habileté, etc.). Pour aller plus loin sur cette question du pragmatisme vous pouvez lire le blog de Marc Bablet.
Pour en finir avec le rejet des recherches qui permettent de lutter réellement contre les déterminismes sociaux.
Les résultats de recherches des sciences de l’éducation, de la sociologie, de la sociolinguistique et de certains courants didactiques sont suffisamment convergents depuis plusieurs décennies pour nous renseigner sur les obstacles que les élèves des milieux populaires rencontrent pour apprendre et nous orienter vers les pratiques pédagogiques qui permettent de les surmonter. Ce n’est donc pas : « la pédagogie peut renverser la sociologie »- un slogan qui ne veut rien dire – ni le « port de la tenue unique » qui « efface les inégalités entre les familles », selon Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse du 16 janvier 2024, mais c’est bien la pédagogie assise sur la cumulativité des résultats de la science qui peut contribuer à limiter les déterminismes sociaux, à condition d’inscrire cette volonté dans le temps long.
Les savoirs accumulés par ces universitaires mais également par le système lui-même au travers de ses praticiens, de certains de ses inspecteurs généraux nous livrent des pistes sérieuses sur ce qui doit être fait, appris, connu pour accueillir les élèves que leur milieu familial n’a pas acculturé aux codes scolaires et pour les faire réussir, enfin. Car, il est faux de dire que les difficultés rencontrées par les enfants et les jeunes massivement issus des milieux populaires sont insolubles quand on aurait tout essayé. Le savoir sur ces questions existe, il est à portée de main, il est à portée des politiques publiques. Les professeurs avec tous les autres personnels de l’éducation y travaillent et parfois réussissent au-delà des attendus mais ne sont pas soutenus par une action collective, durable, systémique de l’État. Au contraire, il leur est demandé de faire réussir des élèves quand l’action du système tout entier va trop souvent à l’encontre de cet objectif : en revenant sur la semaine de 4 jours et demi favorable aux milieux populaires, en réduisant la scolarisation à deux ans, en encourageant déraisonnablement une focalisation sur les « fondamentaux » réduits à des savoirs de bas niveaux, en finançant la concurrence du secteur des écoles privées, etc. Ce n’est pas un hasard si les ministres actuels tentent d’imposer méthodes et manuels et dans le même temps réduisent la formation à peau de chagrin. L’obéissance plus que la compétence est dorénavant recherchée tant pour les professeurs que pour certaines catégories d’élèves, alors même qu’un des principes de « l’agilité » qu’ils préconisent devrait être que « les meilleures architectures, les meilleures spécifications de besoins, et les meilleures conceptions émergent d’équipes auto-organisées ». Ce doit être cela finalement le « en même temps » : dire quelque chose et faire le contraire.
Les voies de progrès sont donc connues, celles qui construisent une école comme une société qui inclut, qui construit la cohésion sociale au lieu de ségréguer, de mettre à part, de désigner « l’autre », « le pauvre » ou « l’étranger » comme un adversaire qui dévalorise le système et lui nuit. Nous sommes en capacité de changer l’école pour le bénéfice de tous, nous avons le savoir pour le faire pour peu que nous le voulions vraiment. Il s’agit là de volonté et de convictions politiques voire morales.
Ne jamais renoncer à la justice sociale, à l’émancipation.
Dans ce contexte, il appartient à chacun d’entre nous, et surtout à chacun des professionnels de l’éducation à quel niveau qu’il exerce, de discerner dans le kaléidoscope des mesures prises et qui se parent des mythes du « c’était mieux avant », du « bon sens », du « pragmatisme », la vision globale de l’école et plus largement de la société qui ne se dit pas mais se construit sous nos yeux. Il appartient à chacun d’entre nous de ne pas se laisser aller à la facilité de croire à ces mesures, qui ne sont que le camouflage des symptômes d’une école inégalitaire et le retour à une école qui ne souhaite pas tirer l’ensemble de sa jeunesse vers le haut, qui portent une conception de l’école qui a renoncé à l’émanciper. Parce que ce gouvernement prend acte de la société telle qu’elle est et entérine les inégalités sociales, il nous faut renforcer notre esprit critique et celui de nos élèves pour les aider à débusquer les choix mortifères de politiques qui ne travaillent pas pour tous.
Le pire serait en effet que cette régression, inédite dans son ampleur, qui maltraite ceux qui ont une claire conscience des enjeux, se fasse avec l’assentiment des personnels, qui ne voyant dans ce qui est annoncé que des tentatives de solutions à leurs problèmes professionnels réels et quotidiens ou focalisés sur les questions de mise en œuvre et de moyens, méconnaissent le piège qui leur est tendu : celui du renoncement à une justice sociale dont ils seraient sans le vouloir les acteurs. Dans la séquence de communication actuelle où le mensonge le dispute à l’incompétence, il ne faudrait pas que nous restions à la surface des prises de parole officielles. Il ne faudrait pas que les poutres dans les bouches ministérielles cachent la forêt de l’idéologie qui les animent dans la durée depuis 2017. Soyons ensemble bien au clair sur le sens profond de la politique antisociale en cours.
Comme le dit Marie-Anne Dujarier : « Dans ce management via les dispositifs, les tâches, leur organisation et évaluation sont conçues de manière générique, hors de la situation réelle, et avant qu’elle n’ait lieu, par des personnes qui en sont éloignées. Employés et consommateurs doivent alors faire un effort de traduction : décrypter le vocabulaire des concepteurs et sa signification, rentrer dans leur logique, constater que les valeurs et le sens de l’activité imposés par ces dispositifs heurtent parfois celles de leur métier. Que l’on soit un médecin hospitalier soumis au système de la « Tarification à l’acte » (T2A), un guichetier dans une agence de location de voitures ou une cadre de proximité dans la pétrochimie, il faut arriver à comprendre ce que ces dispositifs exigent, nomment, mesurent, valorisent, pour arriver à produire avec eux, mais aussi pour tenter de les contourner.»
Dans le domaine de l’éducation, le collectif Langevin Wallon essaiera d’apporter sa modeste contribution en vue de ce décryptage.
Collectif Langevin-Wallon
Le collectif Langevin Wallon réunit des professionnels ayant travaillé principalement en éducation prioritaire à tous les niveaux de l’institution scolaire. C’est fort de cette expérience qu’il entend défendre une démocratisation sociale et scolaire de l’École.
Il a déjà publié :