En introduction des deux riches journées du Forum des enseignantes et enseignants innovants organisé par le Café pédagogique qui ont eu lieu dans un contexte assez morose -après les annonces rétrogrades du plus jeune ministre de l’Éducation nationale de la cinquième République, Philippe Meirieu a lancé un appel à la résistance. Et pour résister aux “réformes démagogiques dictées pour plaire à l’opinion publique”, le chercheur convoque l’histoire des valeurs républicaines de l’École.
De l’innovation et ses dérives
Le chercheur et pédagogue Philippe Meirieu a commencé son intervention par une invitation à ne pas totémiser l’innovation. Il a alerté sur les dérives d’un concept « mou, ambigu, extensible » car toute innovation ou initiative n’est pas un progrès. Les finalités et réels progrès doivent être interrogés : l’innovation peut masquer une régression ou une démarche marchande, à l’instar du label Montessori rappelle-t-il. Il convoque la formule du Guépard pour illustrer l’ambiguïté du concept innovation « il faut bien que quelque chose change pour que rien ne bouge ».
« Nous voulons une innovation républicaine »
Pour parler d’innovation scolaire, Philippe Meirieu convoque … l’Histoire de la République. Il inscrit ainsi son intervention dans la tradition de l’Ecole républicaine. Il cite les hommes politiques des 18e, 19e et 20e siècles : Ferry, Jaurès, Buisson, Zay. « Nous voulons une innovation républicaine » et pour cela Philippe Meirieu se réfère à l’année 1792 et à Condorcet : « C’est en combattant l’ignorance que nous rendrons les hommes libres.[…]L’instruction doit être universelle et s’étendre à tous les citoyens». Pour Meirieu, l’«école est le lieu de la découverte intelligente du monde et la capacité à s’émanciper.» L’innovation de l’Ecole républicaine n’a-t-elle pas été et n’est-elle pas celle de former des citoyens éclairés, libres et égaux en droits ?
A rebours des ministres de l’Education nationale qui proposent aux professeurs des écoles des manuels labellisés, Philippe Meirieu rappelle que Jules Ferry a créé le conseil des maîtres pour rendre aux instituteurs le libre choix des manuels et des outils pédagogiques. Il le cite : « on ne fera pas des hommes libres avec des professeurs aux ordres » et de conclure « Nous sommes innovateurs à la Jules Ferry ». L’héritage républicain du professeur que retrace Philippe Meirieu est également celui de Jaurès : « La République n’enseigne aucun catéchisme fut-il républicain ». L’enseignant innove argumente-t-il, il n’exécute pas des protocoles standardisés : «nous devons faire vivre et non prêcher les valeurs républicaines afin qu’aucun élève ne soit exclu des savoirs de la connaissance. »
« Nous sommes républicains»
«Nous sommes fidèles à la conception républicaine de l’école», « nous sommes fidèles à Condorcet, Buisson, Zay» martèle Philippe Meirieu. La formation citoyenne comme la formation de l’esprit critique est partie intégrante de la formation scolaire de tous les élèves. Le fondamental ne saurait dès lors être réduit aujourd’hui au lire – écrire – compter, en excluant la formation citoyenne alors que l’ambition de 1882 était justement de dépasser le rudimentaire. Philipe Meirieu place les professeurs en héritiers d’une tradition et des valeurs républicaines à réveiller.
Enseignant innovant, innovant résistant
« Nous sommes des résistants » insiste Philippe Meirieu en dénonçant la responsabilité des médias et « l’abêtissement de la jeunesse par les industries de programme ». Philippe Meirieu appelle à « s’intéresser à « l’usage que font les médias des jeunes et non l’inverse». « Il nous faut résister et dénoncer la manière dont les enfants aujourd’hui sont les victimes des industries des programmes qui bafouent les droits. Nous sommes des résistants à la misère symbolique […] et à la sélection par l’échec ». explique-t-il.
Résister ensemble pour les élèves
« Nous savons tous, qu’il y a les élèves, chaque visage. Nous savons bien qu’un seul mot un jour peut changer un élève et un élève peut changer le monde. On ne peut pas battre en retraite » a conclu le célèbre chercheur.
Le forum l’a montré durant deux jours, ces journées de rencontres et d’échanges entre enseignants a permis de « résister ensemble au découragement et à la déprime devant la force des attaques » comme le résume P Meirieu. Ses mots ont accompagné et n’ont pas fini de résonner chez chacune et chacun des participants du forum. Dans un contexte réactionnaire où le sens du métier est attaqué, le travail de Philippe Meirieu apparait comme salutaire pour la profession enseignante, remettant au cœur la question des finalités de l’Ecole.
Si le dernier ouvrage de Philippe Meirieu posait la question polémique « qui veut encore des professeurs ?», son ouverture au forum a apporté des éléments de réponse à la question « quel professeur veut-on pour la République aujourd’hui, dans quelle école, et pour qui ? ».
Finalement, la question qui se pose aujourd’hui aux professeurs ne serait-elle pas « obéissance ou résistance » ?
Djéhanne Gani